De la branche de céleri au misoprotol : avorter dans la clandestinité au Chili des années 1960
Block Claire-Emmanuelle
Sous la direction de :
Discipline : Histoire
École doctorale : ED ESC
Affiliation : Université Rennes 2
Résumé
« Nous avortons cette dictature néolibérale. […] Nous avortons l’état d’urgence. […] Nous avortons le fait que tu recouvres nos mots d’ordre sur les murs. […] Nous avortons la peur. » Ces lignes proviennent du site Internet du collectif Ligne Avortement Libre, l’une des principales associations chiliennes fournissant soutien et informations aux femmes voulant avorter clandestinement. Rédigées le 1er novembre 2019 dans le contexte de l’intense crise que connaît le Chili depuis le mois d’octobre de cette année, elles témoignent des revendications du mouvement social mais aussi d’une réappropriation des représentations associées à l’avortement par certaines Chiliennes. Sous leur plume, dans leur bouche, l’avortement devient symbole de subversion et d’opposition à un certain ordre socio-économique et de genre. Cette crise constitue un contexte inédit d’expression des demandes sociales des citoyens et citoyennes, incarné par l’un des slogans emblématiques du mouvement social : « le Chili s’est réveillé ». Les manifestations, les assemblées populaires, les affiches qui recouvrent aujourd’hui les murs des villes sont dans le même temps autant de tribunes pour les revendications féministes, notamment liées aux droits sexuels et reproductifs. Depuis le début des années 2010, la question de la dépénalisation de l’avortement est au coeur d’intenses débats dans la société chilienne. Depuis 2017, la loi permet aux femmes d’avorter sous trois conditions – lorsqu’il existe un risque pour la santé de la mère ou du foetus et en cas de grossesse après un viol – mais l’avortement « libre, sûr et gratuit » réclamé par les mouvements féministes n’a jusqu’à présent jamais été une réalité dans le pays. En Amérique latine, l’avortement reste très largement interdit et criminalisé et se trouve au centre d’intenses débats dans de nombreux pays, à l’image de l’Argentine ces dernières années.
Ce projet de recherche se propose de replacer cette question dans le temps long, de manière à historiciser un enjeu politique et social extrêmement vif et contemporain. Nous souhaitons ainsi faire une étude de l’avortement au Chili des années 1960 à nos jours, période au cours de laquelle l’avortement est pénalisé et est donc pratiqué clandestinement, exposant les femmes à des risques pour leur santé ainsi qu’à des sanctions pénales. Il ne s’agit pas de réaliser une histoire des politiques publiques ni des mouvements politiques mais une histoire de la vie privée, une histoire du corps, une histoire par le bas, au plus près des actrices de cette histoire, qui s’intéresse aux pratiques abortives et aux conditions de réalisation de l’avortement dans l’illégalité. Cette histoire n’a pour l’heure été que très partiellement écrite au Chili, sans doute en raison du fait que l’histoire culturelle et l’histoire du genre sont des approches qui ont été intégrées récemment à la recherche dans ce pays. Nous nous proposons donc de nous demander comment les femmes chiliennes ont avorté illégalement, quelles sanctions elles ont encouru, conjointement aux avorteurs et avorteuses, et quelles ont été les représentations des acteurs sociaux participant à la réalisation de cet acte, des années 1960 à nos jours.